Storytelling, génération Z, influenceurs latinos, représentations culturelles et campagnes engagées : le Cannes Lions 2025 a confirmé son rôle de carrefour incontournable entre publicité, audiovisuel et créativité mondiale.

Du 16 au 21 juin, La Montée Ibérique était présente au cœur du Festival International de la Créativité à Cannes pour observer et analyser les grands récits qui façonnent notre imaginaire collectif. Cette édition a particulièrement mis en lumière la montée en puissance des talents latinos dans les sphères de l’influence, de la production de contenus et des stratégies publicitaires.
Le Cannes Lions 2025 s’est clôturé sur une note à la fois intense et révélatrice. Ce festival mondial de la créativité, qui rassemble chaque année les plus grands acteurs de la publicité, du marketing et des industries culturelles, a réuni cette année plusieurs milliers de participants venus du monde entier. Une édition marquée par l’omniprésence du mot “authenticité”, mais aussi par une forte présence des talents latinos, à la fois sur scène et dans les coulisses.
Entre stratégies de marque, engagement social et montée en puissance de nouvelles générations de créateurs, le festival a dessiné les contours d’un monde en recomposition, où l’émotion et la narration ne sont plus accessoires mais essentielles. Retour en cinq points sur les tendances fortes de cette édition, avec un prisme assumé : celui de la communauté latino, en pleine affirmation identitaire et créative.
1. Le storytelling, ou l’art de donner du sens
S’il ne fallait retenir qu’un mot de cette édition, ce serait sans aucun doute celui de storytelling. Sur toutes les scènes du Cannes Lions, de la publicité à la production audiovisuelle, le récit a été érigé en pilier central des stratégies créatives. Mais qu’est-ce que le storytelling, au fond ? Il ne s’agit pas seulement de “raconter une histoire”. Le storytelling, c’est l’art de structurer un message sous forme narrative pour toucher une audience de manière émotionnelle, mémorable et engageante. C’est ce qui permet à une marque, une série, ou un projet social de créer un lien durable avec son public.
Cette année, le storytelling a été évoqué aussi bien par les géants de la tech que par les stars de l’industrie. Parmi les temps forts, l’intervention de Reese Witherspoon, actrice et productrice, venue défendre l’importance de récits ancrés dans le réel à travers sa société Hello Sunshine. Si son discours s’adressait à un large public, il faisait écho à une question plus profonde : comment représenter toutes les voix, y compris celles longtemps invisibilisées ? Elle est revenue sur la genèse de sa société de production née d’un constat :
Je me souviens que je recevais de nombreuses propositions de rôles et à chaque fois c’était les mêmes histoires de femmes stéréotypées et à un moment je me suis dit : je ne veux pas jouer ça et surtout je ne veux pas que ma fille voit les femmes représentées ainsi. J’ai ensuite parlé avec une directrice de casting de ce que je ressentais et elle m’a dit que tout le monde lui disait la même chose. J’ai réalisé à ce moment là qu’en tant que femme nous ne faisions pas suffisamment partie de la conception des histoires et que les récit ne reflétaient pas la réalité.
Fondée par Reese Witherspoon, la société Hello Sunshine s’est imposée comme une référence en matière de récits centrés sur les femmes. Loin de se limiter à des héroïnes blanches issues de la classe moyenne, l’entreprise a multiplié les projets mettant en avant des voix féminines diverses, mais aussi via des initiatives comme Lit Up, un programme de mentorat destiné aux autrices issues de groupes sous-représentés. Dans un contexte où la question de la représentation des femmes latinas à l’écran reste encore marginale aux États-Unis, Hello Sunshine pourrait bien devenir un acteur clé pour porter ces récits à un niveau mondial — à condition de les intégrer pleinement dans sa ligne éditoriale.
Dans le même esprit, Jimmy Fallon, figure incontournable du talk-show américain, a partagé sa vision d’un divertissement qui mise sur l’authenticité et l’humour comme vecteurs de viralité. Il a rappelé que ses émissions ne sont plus seulement diffusées à la télévision, mais largement vues à travers le monde grâce aux réseaux sociaux, transformant chaque extrait en capsule narrative mondiale. Et preuve de son ancrage dans la pop culture latino : c’est lui qui a accueilli en exclusivité mondiale la performance de Shakira et Bizarrap, dans un moment devenu iconique.
À travers ces interventions, une idée forte émerge : la narration est désormais la clé de la différenciation, que l’on soit une marque, un artiste ou un créateur de contenu indépendant. Et c’est aussi une opportunité immense pour les talents latinos, porteurs de récits encore trop peu représentés.
2. Génération Z : comprendre pour mieux créer
Deuxième tendance majeure de cette édition : la nécessité de comprendre la génération Z, ce public, ultra-connecté, ne se retrouve plus dans les formats classiques. Il zappe la télévision linéaire, privilégie les contenus courts, interactifs, et pense “plateforme” avant “programme”. Résultat : des géants comme YouTube, TikTok ou Instagram sont devenus des acteurs incontournables de la VOD, souvent plus consultés que Netflix ou Amazon chez les moins de 25 ans.
Mais cette génération ne se contente pas de consommer : elle crée, elle commente, elle remixe. Elle attend des contenus qui lui parlent vraiment, à travers ses codes, ses langages, ses préoccupations. Et cela oblige les marques, les médias et les créateurs à repenser leurs stratégies : il ne suffit plus d’adapter, il faut inventer des formats natifs à ces plateformes.
Ce sujet n’est pas nouveau pour nous. Dès 2023, lors de l’événement Iberseries Platino Industria à Madrid, les premières conférences consacrées à la génération Z mettaient déjà en lumière cette rupture culturelle et comportementale. Nous avions alors eu l’occasion d’échanger avec Carlos Montero, le créateur de séries cultes comme Physique ou Chimie et Élite. Il nous confiait à quel point il avait dû adapter son écriture et sa vision de la narration pour toucher une génération hyper-connectée, fragmentée, en quête d’identification immédiate. Là où les adolescents des années 2000 se retrouvaient devant leur télé à 18h30 pour suivre Un, Dos, Tres ou Física o Química, ceux d’aujourd’hui consomment leurs histoires à toute heure… sur YouTube, TikTok, Instagram ou les plateformes de streaming.
Ce changement radical oblige les scénaristes, producteurs et publicitaires à repousser les frontières traditionnelles du format. Il ne s’agit plus seulement de raconter une histoire, mais de la diffuser au bon moment, sur le bon support, avec le bon ton. Et dans ce contexte, les créateurs de contenu deviennent des alliés stratégiques : non seulement ils maîtrisent les codes de ces plateformes, mais ils agissent aussi comme passeurs culturels capables de traduire les messages complexes en formats accessibles et engageants.
3. Les créateurs de contenu : d’influenceurs à conteurs d’histoires
L’un des espaces les plus vivants du Cannes Lions 2025 fut celui dédié aux créateurs de contenu, avec une série de conférences menées notamment par YouTube et TikTok. Loin du cliché de l’influenceur superficiel, les plateformes ont affirmé leur volonté de reconnaître ces créateurs comme de véritables acteurs culturels et économiques, capables de parler à une communauté avec authenticité.
Parmi eux, Gabriela Meza, journaliste et tiktokeuse mexicaine spécialisée dans le cinéma. Présente au festival dans le cadre d’un Meet & Greet TikTok, elle se définit à la fois comme journaliste indépendante et créatrice de contenu. En fondant son propre média, elle a voulu pallier l’absence de femmes critiques de cinéma au Mexique. Son approche ? Instinctive, spontanée, loin des formats préfabriqués. Lors du Festival de Cannes, elle a capté ses coups de cœur au jour le jour, avec l’envie de rendre le festival accessible à son public. À travers ses vidéos, sa communauté a découvert un Cannes plus proche, plus humain.
Autre rencontre marquante : une créatrice péruvienne qui, depuis la Floride, filme le quotidien de son mari pêcheur. Entre tournage et montage, elle documente avec sincérité leur vie maritime. “C’est un métier dans le métier”, nous disait-elle. Ce contenu authentique a rapidement attiré des marques, séduites par la force du récit. Au-delà de la pêche, c’est une histoire de famille, de transmission, de fierté qu’elle partage.
Ces deux femmes incarnent une nouvelle génération de créatrices latines, qui utilisent les réseaux non pas pour se mettre en scène, mais pour porter une voix, transmettre une culture, créer du lien. Leur force ? Avoir su raconter des récits enracinés, à contre-courant des formats dominants, sans attendre l’aval d’un diffuseur traditionnel.
4. Claudia Romo Edelman & Hispanic Star : inclusion oui, mais représentation réelle
Claudia Romo Edelman, fondatrice de l’initiative Hispanic Star sous la bannière de la We Are All Human Foundation, a animé plusieurs panels marquants au Cannes Lions 2025, notamment aux côtés de Canela TV, la chaîne en espagnol dédiée au public hispanophone. Elle y a souligné une vérité criante : pendant longtemps, les Latinos ont honte de leurs origines — au point de changer de nom pour mieux s’intégrer dans les industries médiatiques. Aujourd’hui, cette époque est révolue.

Elle a insisté sur un point essentiel : bien que l’inclusion progresse — avec une participation accrue des Latinos dans les jurys (20 %) et dans les panels comme Latino US Day, Havas, Meta, etc.—, la représentation reste souvent éloignée de la réalité. Dans la publicité, le cinéma et la télévision, les rôles restent trop souvent stéréotypés, sans profondeur ni vérité culturelle. Pour Claudia, les marques doivent investir sérieusementdans le storytelling latino, non pas comme un argument marketing, mais comme un pont réel vers une audience authentique .
L’association avec Canela TV, chaîne entièrement en espagnol, est révélatrice : elle traduit ce message en actes. Canela TV se positionne comme une plateforme alternative, offrant des séries, des talk-shows, et des documentaires pensés pour le public hispanophone, et non sous “l’angle de l’anglo-centrisme”. Aux yeux de Claudia, il s’agit d’établir un récit inclusif, pensé et raconté par les Latinos, pour les Latinos, avec leurs codes, leurs références, leurs espoirs — et non l’inverse. Ce repositionnement culturel ne se limite plus à la présence : il exige une posture créative, une narration démultipliée, et une représentation fidèle.
5. Les Latinos à l’honneur : des campagnes, des agences, des Lions
Le Brésil, pays invité d’honneur du Cannes Lions 2025, a été au cœur de cette édition. Sa créativité, mêlant narration puissante et engagement social, a été saluée à travers de nombreuses campagnes et talents venus des quatre coins du pays. Parmi les acteurs majeurs, Globo fêtait ses 100 ans avec un stand immersif impressionnant, rappelant son rôle clé non seulement comme diffuseur, mais aussi comme producteur de séries, documentaires et telenovelas.
Le Cannes Lions ne se limite plus à la publicité : il est devenu le festival de la créativité sous toutes ses formes, croisant communication, audiovisuel, cinéma, plateformes et création numérique. D’où notre présence chaque année, car créer une campagne, c’est aussi écrire une histoire, avec les mêmes ressorts narratifs qu’une série ou un film. Certaines pubs marquent plus que des œuvres entières — j’en ai souvent parlé dans mes articles.
Ce lien est d’autant plus évident que la publicité finance l’audiovisuel contemporain. Netflix, très discret mais omniprésent dans les discussions et stratégies, en est un parfait exemple. Derrière les fictions à succès se cachent souvent des campagnes marketing sophistiquées.
Mais le Cannes Lions, c’est aussi un espace de réflexion sur la culture et les métiers créatifs. On y parle IA, storytelling, représentation, et surtout, fusion des rôles : les influenceurs deviennent journalistes, les marques des producteurs culturels. Et chaque année, davantage d’artistes y trouvent leur place. Si cela surprend encore, je vous invite à lire mes précédents articles : vous verrez à quel point ce festival est devenu un baromètre essentiel pour l’avenir de nos industries culturelles.
En guise de conclusion : un festival aux frontières mouvantes
Le Cannes Lions s’affirme comme le festival de la créativité au sens large, où communication, audiovisuel, cinéma, séries et création numérique dialoguent étroitement. Certains s’interrogent encore sur notre présence, tant cela semble éloigné de notre ligne éditoriale centrée sur la fiction latino.
Mais créer une publicité aujourd’hui, c’est raconter une histoire. Avec les mêmes ressorts émotionnels et narratifs qu’un film ou une série. Certaines campagnes marquent plus qu’une œuvre entière — j’en ai analysé plusieurs qui, en quelques secondes, captent une époque ou une cause.
Ce lien est d’autant plus fort que la publicité finance en grande partie l’écosystème audiovisuel. Netflix, omniprésent mais discret, le prouve : présent dans les discussions sur les marques, les stratégies sociales et les mécaniques de sponsoring.
Le Cannes Lions, ce n’est pas que du business. C’est aussi un lieu de réflexion sur l’avenir créatif : storytelling, identité, IA, représentations. On y observe une fusion des métiers : créateurs devenant journalistes, marques devenant producteurs. Et chaque année, de plus en plus d’artistes investissent cet espace en mutation.
Ce festival est, plus que jamais, un laboratoire d’idées pour penser les industries culturelles de demain — à la croisée de la narration, de l’impact et de l’innovation.