Avec Emilia Perez, le réalisateur français Jacques Audiard signe une œuvre audacieuse, hybride, et controversée. Présenté dans de nombreux festivals internationaux, le film a remporté quatre prestigieux prix aux Golden Globes tout en suscitant un débat enflammé, notamment au Mexique. Pourquoi une telle polémique ? Est-elle justifiée ?
Décryptons les éléments qui divisent critiques et spectateurs.
Depuis sa présentation au Festival de Cannes, où il a décroché le Prix du Jury et celui du Meilleur Casting Féminin, Emilia Perez ne cesse de marquer les esprits. Mélange de thriller, comédie musicale et critique sociale, ce film atypique est parvenu à transcender les genres. Cependant, au-delà de l’engouement pour son originalité, il est aussi devenu le symbole d’un débat sur la représentation culturelle et l’authenticité dans le cinéma. Au Mexique, le film est sous le feu des critiques alors qu’il n’est même pas encore sorti.
Une histoire mexicaine vue à travers un prisme français :
Emilia Perez est avant tout un projet piloté par Jacques Audiard, connu pour son audace cinématographique. Tourné en espagnol, le film mêle des acteurs américains, espagnols et mexicains, et propose une fable mêlant thématiques contemporaines et décors stylisés.
Synopsis : Rita, une avocate surqualifiée et sous-payée dans un grand cabinet peu scrupuleux, voit sa vie changer lorsqu’un chef de cartel, Manitas, lui propose une mission inédite : l’aider à disparaître du monde criminel pour devenir la femme qu’il a toujours rêvé d’être.
Jacques Audiard, réalisateur talentueux et respecté, a néanmoins essuyé des critiques concernant son approche de la culture mexicaine dans Emilia Perez . Bien qu’il ait déclaré « connaître suffisamment la culture mexicaine » pour réaliser ce film, cette affirmation a été mal accueillie par une partie du public et des critiques. Beaucoup estiment qu’une collaboration plus approfondie avec des experts locaux aurait permis une représentation plus fidèle et nuancée. Toutefois n’oublions pas qu’Emilia Perez est une fiction et non un documentaire ayant pour objectif une représentation réelle de la situation.
De plus, le choix de tourner le film dans des décors reconstitués à Paris, bien que pratique pour contourner les contraintes logistiques, a également été pointé du doigt. Si le résultat esthétiquement soigné ne fait aucun doute, cette décision a été perçue par certains comme un manque d’authenticité. En effet, réaliser un film se déroulant au Mexique en restant majoritairement en France peu sembler étrange.
Malgré ces critiques, il est indéniable que l’approche visuelle et narrative d’Audiard offre une interprétation unique, bien qu’éloignée du réalisme. Cela soulève toutefois une question essentielle : jusqu’où peut-on s’éloigner du cadre culturel original sans risquer de perdre en légitimité ?
Un casting international pour une thématique locale
Emilia Perez se déroule au Mexique, mais son casting principal illustre un choix résolument international, qui suscite autant l’admiration que la controverse. Adriana Paz, seule actrice mexicaine parmi les personnages principaux, a été reléguée au second plan lors de la promotion, ce qui n’a pas manqué de décevoir ceux qui espéraient une plus grande représentation locale. La comédienne a pourtant insisté sur la vision respectueuse qu’avez eu le cinéaste français sur son pays.
Les têtes d’affiche incluent Selena Gomez, Zoe Saldaña et Karla Sofia Gascon. Selena Gomez, d’origine mexicaine, a été critiquée pour son espagnol hésitant, qui a surpris certains spectateurs. En revanche, Zoe Saldaña, d’origine portoricaine, a impressionné par son interprétation remarquable et son travail acharné pour maîtriser l’espagnol, effort qui se ressent à l’écran. Enfin, Karla Sofia Gascon, actrice espagnole, livre une performance intense et marquante, bien qu’elle ne soit pas mexicaine mais son personnage là encore fait débats…
En effet, Emilia, le personnage central, est profondément nuancé. Elle incarne une figure tourmentée, hantée par son passé criminel. Si son désir de transformation inspire de l’empathie, il n’efface pas le poids des horreurs qu’elle a commises. Ce dilemme humain, au cœur du film, offre une réflexion sur les luttes intérieures et les sacrifices nécessaires à une réinvention radicale de soi. Ce portrait poignant, porté par des interprétations puissantes, constitue sans doute l’une des forces majeures de Emilia Perez.
Malgré cela, certains reprochent au film de romantiser le narcotrafiquant à travers la quête de rédemption de son personnage principal. Emilia, bien qu’elle porte le poids de ses actions passées, incarne une transformation humaine et sociale. Cependant, pour de nombreux Mexicains, la gravité de ces thématiques – le narcotrafic et ses conséquences – nécessite un traitement plus réaliste et respectueux.
Polémique : appropriation culturelle ou malentendu ?
Emilia Perez est mon coup de coeur du dernier festival de Cannes. Lorsque je l’ai vu, j’ai eu besoin d’un moment pour me dire mais finalement est-ce un film latino, un film américain ou un film français? La réponse, c’est une oeuvre internationale. C’est vrai que choisir des actrices américaines pour raconter une histoire mexicaine c’est étrange et on sent en le voyant par exemple que Selena Gomez n’a pas un espagnol naturel.
La critique concernant l’absence d’actrices mexicaines dans les rôles principaux met en lumière une opportunité manquée de donner une représentation authentique des personnages et de la culture mexicaine j’en conviens mais, peut-on aujourd’hui imaginer une autre actrice à sa place de Selena ou de Zoé? On ne peut pas reprocher à un réalisateur d’avoir choisi des comédiennes qui lui semblaient parfaites pour ces personnages.
Je pense que l’erreur réside dans le fait de percevoir Emilia Perez comme un film ancré dans le réel. Personnellement, je l’ai vu comme une fable irréelle, qui aborde certes des problématiques contemporaines, mais qui n’a rien à voir avec des œuvres comme La Civil, par exemple. Cela dit, je comprends la colère des Mexicains, qui ont ressenti une forme d’appropriation culturelle, notamment à travers la stratégie de communication adoptée. Les maladresses de Jacques Audiard, comme ses déclarations sur le Mexique, n’ont pas arrangé les choses.
Il est important de rappeler que le trafic de drogue est un véritable fléau social et un sujet particulièrement sensible, tout comme les disparitions. Vivre dans un pays où ces problèmes sont une réalité quotidienne rend difficilement acceptable une fiction qui n’en propose pas une représentation authentique.
Cependant, Emilia Perez reste avant tout un film audacieux, porté par un réalisateur amoureux de la culture latine, qui a voulu créer une œuvre internationale. Ce n’est pas un film latino au sens strict, mais il a permis à Zoe Saldaña de renouer avec ses racines, à Selena Gomez de mettre en lumière les Américaines vivant avec une double culture, et à Karla Sofia de s’exprimer sur des thématiques qui lui tiennent à cœur.
La seule vraie déception, selon moi, est qu’on parle si peu d’Adriana Paz, qui incarne pourtant un rôle remarquable et représente fièrement son pays.
Emilia Perez est disponible en VOD depuis le 21 décembre.