Folie, sexe et société : que raconte vraiment “Delirio”, la série colombienne qui bouscule Netflix ?

Disponible sur Netflix, Delirio est une mini-série colombienne aussi envoûtante que dérangeante. Adaptée du roman culte de Laura Restrepo, cette fiction psychologique en 8 épisodes nous plonge dans la Colombie des années 80, entre amour, folie, élite corrompue et trafic de drogue. Alors, faut-il la regarder ? Voici tout ce qu’il faut savoir sur Delirio.

Folie, sexe et société : que raconte vraiment “Delirio”, la série colombienne qui bouscule Netflix ?
Folie, sexe et société : que raconte vraiment “Delirio”, la série colombienne qui bouscule Netflix ?

Delirio n’est pas une série comme les autres. Dès les premières minutes, on comprend qu’on entre dans un territoire narratif trouble, à la fois déroutant et envoûtant. Portée par une actrice méconnue mais magistrale, cette fiction colombienne m’a happée autant qu’elle m’a perdue. C’est une œuvre exigeante, morcelée, parfois frustrante, mais profondément habitée. Et c’est peut-être ce qui la rend si rare sur Netflix : une série qui ne cherche pas à plaire à tout prix, mais à dire quelque chose de plus grand. Voici pourquoi Delirio m’a marquée et pourquoi elle ne laissera sans doute personne indifférent.

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Delirio : une adaptation ambitieuse d’un roman culte

Le roman Delirio, signé Laura Restrepo, a marqué la littérature latino-américaine du début des années 2000. Récompensé par le Prix Alfaguara, il décrypte les failles de la haute société colombienne à travers la folie d’une femme, miroir d’un pays rongé par la corruption et les non-dits. Netflix fait le pari d’une fiction littéraire, intense et dérangeante, qui tranche avec les formats plus commerciaux en adaptant cette histoire le temps de 8 épisodes très intenses.

Synopsis : Fernando Aguilar est professeur de littérature. En rentrant de voyage, il découvre sa femme dans un état de délire profond. Elle est méconnaissable, figée dans ses souvenirs, incapable de distinguer le présent du passé. Ce choc pousse Fernando à enquêter sur les causes de cette rupture mentale. En cherchant à comprendre ce qui l’a brisée, il ouvre une boîte de Pandore où se mêlent secrets familiaux, violences sociales et traumatismes enfouis.

La série jongle habilement entre thriller psychologique et critique sociale, en s’appuyant sur une narration fragmentée, fidèle au roman d’origine qui nécessite toutefois de bien s’accrocher pour ne pas perdre le fil du récit.

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Une distribution puissante et une reconstitution soignée

Estefanía Piñeres incarne Agustina Londoño dans un jeu de ruptures émotionnelles où la lumière peut se muer en obscurité en une fraction de seconde. Élue après un casting particulièrement rigoureux, elle réussit à rendre crédible cette déconstruction psychique que décrit le roman. Laura Restrepo elle-même a salué sa capacité à conjuguer charme, intelligence, sensualité et une plongée dans la folie la plus tragique . Derrière le rôle fragile et éclaté, se cache une créative polymathe, productrice et scénariste, qui apporte une densité rare à son interprétation .

« Estefanía parvient à créer un personnage qui combine de tels changements successifs… soudain, elle plonge dans ces eaux sombres de la folie d’une manière très convaincante. »

Laura Restrepo

Si Estefanía Piñeres porte à elle seule le poids dramatique de Delirio, la série s’appuie également sur un casting solide composé de visages bien connus du public latino-américain — et parfois même du public français. C’est notamment le cas de Juan Pablo Urrego, qui interprète Fredy “El Midas” McAlister, un personnage aussi séduisant qu’énigmatique, étroitement lié au passé trouble d’Agustina. Son nom ne vous est peut-être pas inconnu : il s’est fait connaître à l’international grâce à son rôle marquant dans Sin senos sí hay paraíso, une telenovela très populaire en France sur Netflix, ou encore dans El Patrón del Mal. Sa présence ajoute une tension sexuelle et dramatique essentielle au triangle psychologique formé avec Agustina et Fernando.

Aux côtés d’Urrego, on retrouve Juan Pablo Raba dans le rôle de Fernando Aguilar, professeur de littérature et époux désemparé, figure centrale de l’enquête affective qui structure la narration. Raba, habitué des productions internationales (Distrito SalvajeSix), incarne avec sobriété un homme tiraillé entre amour et raison, naviguant à vue dans les méandres de la folie de sa femme.

Autre figure clé : Paola Turbay, qui campe Eugenia, la mère d’Agustina. Ancienne reine de beauté et actrice reconnue, Turbay insuffle à son personnage une rigidité sociale teintée d’ambiguïtés, symbolisant les contradictions d’une bourgeoisie colombienne plus préoccupée par les apparences que par la vérité. Son rôle, discret mais fondamental, fait écho à la critique sociale latente du récit.

Une plongée sensorielle dans la Colombie des années 80 :

La série se déroule dans les années 80 et de ce côté on peut dire que la reconstitution est plutôt réussie. La mise en scène plonge régulièrement dans le débat entre réalité et délire, recréant cette atmosphère où le réel se fissure progressivement. La narration s’appuie sur des flashbacks, visions fragmentées, et une narration « caleidoscopique » pour refléter le labyrinthe mental d’Agustina.

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Laura Restrepo brosse dans son roman un portrait cinglant de la société colombienne des années 80, dominée par un patriarcat subtil mais omniprésent. Dans Delirio, Agustina Londoño incarne la résistance féminine : rejetant le rôle passif attendu d’une femme de l’élite, elle entreprend une quête intérieure radicale. Sa folie devient alors un geste subversif, un appel muet mais puissant à reconnaître l’autonomie féminine et à dénoncer les mécanismes symboliques de domination. Plus qu’un simple récit psychologique, Delirio est un roman engagé, mettant la femme au cœur de la réflexion sur la mémoire, la violence et la liberté.

La critique de la rédaction :

Avec Delirio, Netflix propose une série colombienne comme on en voit peu sur la plateforme : intense, profonde, et viscéralement habitée. Adaptée d’un roman culte, elle parvient à jongler entre deux registres : d’un côté, une narration littéraire exigeante autour du cerveau d’une femme malade ; de l’autre, un aspect plus populaire porté par un casting composé d’acteurs reconnus du public latino dont Juan Pablo Raba, Juan Pablo Urrego, Paola Turbay qui assurent une certaine accessibilité.

Mais attention : ce n’est pas une série facile à suivre. C’est même son principal défaut à mes yeux. La narration est volontairement éclatée, morcelée, presque labyrinthique. Dès le premier épisode, on bascule sans transition entre l’enfance, l’adolescence, puis l’âge adulte d’Agustina. Les temporalités se chevauchent et il est parfois difficile de situer certaines séquences. Ce flou narratif contribue à la sensation de vertige, mais peut aussi gêner l’immersion, voire décourager.

Pourtant, cette structure confuse sert aussi le propos : on plonge littéralement dans l’esprit d’une femme en déroute, dans un délire intérieur où les frontières entre souvenirs, fantasmes et réalité sont constamment brouillées. Ce point de vue subjectif, assumé, rend l’expérience de visionnage parfois déroutante, mais aussi profondément captivante.

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Un autre aspect fort de la série est sa manière d’aborder la maladie mentale dans une perspective familiale et féminine. Très vite, Delirio suggère l’existence d’une malédiction ou d’un héritage pathologique transmis de femme en femme. Une tante malade est évoquée, et dès l’enfance, Agustina entend qu’elle aussi pourrait « tomber malade ». Ce poids des attentes, de la norme, du silence imposé aux femmes traverse toute l’intrigue et on découvre qu’on est face à une femme brisée dès l’enfance qui va très vite montrer les signes de sa maladie mais tout faire pour les cacher.

Par ailleurs, la série aborde de façon frontale la sexualité féminine, ce qui est rare, surtout dans des productions latino-américaines à tendance conservatrice. Ici, c’est le désir féminin, l’émancipation, la prise de pouvoir sur son propre corps qui sont mis en avant parfois avec une frontalité troublante, mais toujours avec justesse. Là encore, c’est un point fort : Delirio donne à voir une femme complexe, libre, puis brisée, sans jamais la juger.

Enfin, la série met en tension plusieurs classes sociales à travers les figures masculines : Fernando, professeur cultivé et observateur, et « Midas », un homme issu d’un milieu très modeste, ami du frère d’Agustina, qui cherche à gravir les échelons sociaux. Ces figures gravitent autour d’Agustina, mais aucune ne parvient à la comprendre preuve que le vrai centre du récit reste son intériorité.

Au final, Delirio est une série qui mérite d’être vue, ne serait-ce que pour son ambition narrative et visuelle. C’est une œuvre exigeante, presque littéraire dans sa structure, qui propose une réflexion sur la mémoire, le genre, le pouvoir et la folie. Mais elle demande un effort au spectateur : il faut accepter d’être désorienté, de naviguer à l’aveugle, de ne pas tout comprendre immédiatement. C’est à la fois sa force… et sa faiblesse.

Le choix de Netflix de mettre en avant une œuvre comme Delirio ambitieuse mais difficile montre une stratégie de diversification de son catalogue, notamment en direction d’un public plus exigeant. C’est un virage intéressant dans un paysage où les fictions latines sont souvent réduites à des formats “pop” ou faciles à consommer.

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